Wednesday, January 11, 2012

L'indignation - Manifeste

Dans 200 millions d’années, en toute probabilité scientifique, nous n’existerons plus. Une nouvelle époque glacière envahira l’hémisphère nord de la terre. Les températures de froid extrême auront atteint des records qui feront en sorte que l’humanité, telle que nous la connaissons, disparaîtra et laissera derrière elle des vestiges insignifiants de son existence passée tels nos ossements, nos visages fossilisés dans la roche, ce que nous aurons bâti, construit, transformé… Nous laisserons derrière nous le produit de nos mains, de nos ressources mises à profit pour survivre individuellement et, sans doute, collectivement. Ce qui m’indigne dans tout cela, c’est que j’ai peur qu’on ne se rappelle de nous que pour ce que nous sommes présentement, actuellement, des êtres munis d’un potentiel immense d’émotions fragiles et grandioses en même temps, mais ne sachant, la majeur partie du temps, les mettre à profit pour consolider la race humaine, pour la rendre collectivement forte, intelligente, pacifique, altruiste, égalitaire, fraternelle.

J’ai peur que si une civilisation autre que la nôtre découvre les traces de notre existence, que dira-t-elle de nous? Supposera-t-elle que nous étions une grande race, une race humaine conscience et prévoyante qui avait vaincu la fin du monde, vaincu les limites de la maladie et de la mort, les confins de l’espace-temps, vaincu les limites de ses modes de vie individualistes à outrance, vaincu les frontières multidimensionnelles pour comprendre l’univers et non le consommer à toutes fins de combler le vide de notre solitude et de notre unicité si particulière, et si ! Ou cette civilisation qui nous succédera, dira-t-elle que nous étions une race inférieure, sans vue d’ensemble et de désir de continuité sur la ligne du temps qui nous est donné pour comprendre, agir, durer, nous perfectionner en terme d’évolution individuelle et de l’amélioration de la race humaine dans un objectif commun.

Nous sommes les cyclopes de l’âge industriel qui avons troqué un œil en échange de la connaissance du jour de notre mort. Nous sommes soumis aux dieux du matérialisme, connaissant les effets néfastes de la surproduction tout en sachant que nous en mourrons de cette tentative de vivre par l’objet, pour l’objet. Ce matérialisme, justement dont je parle, trace notre destinée, s’intègre à notre génotype, s’inscrit comme un trait de caractère qui forme notre personnalité qui doit concevoir, énoncer, penser, réfléchir, performer dans un but ultime, celui d’acquérir la connaissance du jour de notre mort en tendant la carte de crédit, la carte de débit, en signant le chèque, en troquant son corps contre le cash, contre la bouffe, en attendant d’être blanc pour qu’on nous voit justement comme un être humain monayable et donc rentable!

Enfin, ce qui m’indigne profondément, c’est le rejet. J’en ai vécu depuis mon enfance, depuis mon adolescence et même dans ma vie d’adulte. Et j’ai compris, par cette forme de rejet que je devais trouver ma place parmi la masse d’êtres humains qui m’ont fait subir de l’intimidation plus qu’à mon tour. Mais je dois dire merci à ce rejet que j’ai subi si jeune et qui m’a détruit mon adolescence alors que je vivais ma première dépression majeure à l’âge de 17 ans.
Merci à toutes ces personnes qui m’ont dit que j’étais différente, bizarre, un rien, que je ne valais pas mieux qu’un fantôme errant dans les corridors et qui a moins de valeur que tous les salauds de ce monde. Merci à tous ceux qui ont dit de moi que j’étais trop excentrique, pas assez pratique, rêveuse, ridicule, stupide, laide, androgyne.

Merci à toutes ces personnes parce qu’aujourd’hui, je suis devenue un être humain qui comprend le fond de ce qu’est l’autre, je comprends ce que veux dire je t’aime, je comprends profondément ce qu’est la sincérité, l’honnêteté, la tempérance, l’acceptation, le rejet… et surtout, je comprends ce que c’est la faiblesse humaine… je comprends ce qu’est la maladie mentale, je comprends le mal, la douleur, la perte, le découragement, l’alcoolisme, la toxicomanie… je comprends que je suis différente, et je comprends la différence.

Oui, à une certaine époque, toutes ces choses m’ont indignées, mais maintenant, je suis devenue écrivaine pour dénoncer toutes ces blessures profondes infligées à l’être humain sans raison. Cette indignation me permet de décrire les situations les plus noires, les plus inacceptables, les plus rebelles. À mettre en scène des personnages – et à les comprendre – dans leur état de dépression les plus indicibles.

I too am not a bit tamed
I too am untranslatable
I sound my barbaric Yawp over the roof of the world

Le poème de Walt Whitman, est le cri de l’indignation ultime
C’est le hurlement mais plutôt le gloussement de la bête humaine prise au piège de l’ambivalence entre la vie et la mort parce qu’elle sait qu’elle doit inévitablement mourir, mais elle sait aussi qu’elle doit inévitablement vivre
Le poème de Walt Whitman, c’est cri de l’humanité toute entière qui, dès qu’elle franchi le seuil de l’hymen de sa mère, lance le premier cri, le dernier cri, le cri que trop souvent ont cherche à étouffer, à rabrouer, à reprocher… à faire mourir.
Le poème de Walt Whitman, c’est l’envie de dire, de se dire, de faire sa marque en tant qu’être humain pour faire valoir son unicité et sa beauté
C’est le cri de tous, de l’enfant, de l’homme, de la femme, de la vieille, du mourrant, du vivant!

Sylvie Maria Filion